De Husserl et Twardowski vers la métaphysique des artefacts. Philosophie au point de vue empirique (HDR de Wioletta Miskiewicz)

En vue de l’obtention de l’HDR en philosophie à l’ENS/PSL j’ai présenté l’ensemble des mes travaux ainsi que les deux mémoires suivants :

1. Mémoire de synthèse et perspectives de recherche : De Husserl et Twardowski vers la métaphysique des artefacts. Philosophie au point de vue empirique
2. Mémoire scientifique original : « Autobiographie philosophique » de Casimir Twardowski comme source pour la reconstruction de son œuvre. Recherches aux confins de la philosophie et de l’histoire

 Ad.1 Mon domaine de recherche est celui de la théorie de la connaissance qui traite aussi bien des actes de la connaissance que de leurs produits (gnoséontologie). Je m’inscris dans la tradition fondée par Franz Brentano et l’intitulé de mon HDR est une transformation du titre de son texte fondateur : La psychologie au point de vue empirique (1874). Je partage le concept de la philosophie scientifique de ce philosophe viennois pour qui la vraie méthode de la philosophie ne diffère pas de celle de la science de la nature. J’ai cherché non seulement à l’expliciter grâce à l’étude de l’évolution du brentanisme (principalement dans l’œuvre d’Edmund Husserl, le fondateur de la phénoménologie contemporaine, et dans celui de Casimir Twardowski, le père de l’école analytique polonaise dont la branche logiciste, l’École Lvov-Varsovie, constitue depuis quatre décennies un domaine de recherche international) mais aussi à l’appliquer dans l’analyse de certaines difficultés épistémologiques dans les sciences et dans la théorie de l’art.

Après des années d’investigation (d’abord au sein des Archives Husserl de Louvain et des Archives Husserl de Paris et puis en créant les archives numériques des inédits de Twardowski : elv-akt.net), j’ai fini par concevoir le projet de la métaphysique des artefacts, basée sur la théorie des actions et des produits de Twardowski. Le philosophe léopolien y définit les artefacts comme les produits de l’activité humaine, les items physiques (au sens large du terme, comme, par exemple chez P.-M. Menger) qui sont à la fois les stabilisateurs et les porteurs des connaissances (actualisées ou actualisables dans des actes individuels et concrets). Tous ces produits des actions humaines (en occurrence : les artefacts épistémiques) constituent par ailleurs les conditions de possibilité du partage des connaissances. Le réalisme heuristique pratiqué ainsi par Twardowski nous révèle la recherche de la connaissance comme 1° l’assentement de ce qui existe et 2° — son expression comme objet théorique (Gegenständlichkeit).

Twardowski considère les expressions de la connaissance (les mots, les phrases, les diagrammes, les enregistrements, etc.) dans leur physicalité résultant des activités concrètes (les traces d’encre < écrire, les phénomènes acoustiques < parler, les articles dans des revues < préparer à publier, les livres publiés dans des différentes maisons d’éditions < chercher à éditer, publier dans différentes langues < traduire, les lois < légiférer).

Contrairement à Descartes qui trouve en soi-même la stabilité permettant d’entamer le processus de découverte et de connaissance, Twardowski trouve selon moi son point d’Archimède dans l’existence des artefacts : ainsi il remplace de facto le « Je pense donc je suis » cartésien par un : Je produis et je comprends les artefacts donc je sais.

Au fil du temps j’ai pu constater qu’à la suite de perturbations de la circulation des idées scientifiques après 1939, de nombreux palimpsestes dus au fait d’attribuer aux artefacts les sens dont ils n’étaient pas porteurs à l’origine, sont nés, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de l’Europe centrale, et qu’une démarche critique s’impose à cet égard. Cependant un retour aux sources ne doit pas se limiter ici à leur contenu abstrait, mais doit inclure les recherches sur leur nature physique (souvent relativement résistante aux aléas de l’histoire). C’est en ce sens, que je conçois un important volet de mes propres travaux comme une reconstruction historiquement informée des concepts (méthode désignée ainsi par analogie avec la démarche des « baroqueux » en musique).

Ad.2 Casimir Twardowski (1866-1938) est connu à travers le monde avant tout comme le père d’une exceptionnelle formation académique qui a donnée certains parmi les meilleurs logiciens du XXe siècle tels que Lukasiewicz, Lesniewski, Ajdukiewicz où Tarski.

Depuis des décennies il existe un domaine de recherches international désigné comme École de Lvov-Varsovie. On y développe principalement les idées de la branche initiée par Lukasiewicz au sein de l’école analytique polonaise. Cependant dans cette perspective logiciste, Twardowski — même si couvert de louanges en tant qu’enseignant exceptionnel, homme charismatique et organisateur hors pair — apparait comme un philosophe équivoque non émancipé du psychologisme de sa jeunesse et dont certaines intuitions n’ont été explicitées que par ses disciples. Les investigations que j’ai mené principalement à partir de ses cours inédits et à partir des publications considérées par certains comme mineures, jettent pourtant un nouvel éclairage sur ce penseur original.

À partir du moment où il est devenu professeur à Léopol (Lviv), Twardowski, un philosophe à succès précoce, élève proche de Franz Brentano et remarquable représentant du milieu intellectuel central européen réuni au sein de la Philosophische Gesellschaft an der Universität zu Wien (aujourd’hui oublié car datant d’avant le Cercle de Vienne), a pour ainsi dire mis en jachère ses propres travaux pour se consacrer à la construction de la philosophie scientifique en langue polonaise sans cependant abandonner ses propres convictions. Le malaise qui existait entre lui et la majorité de ses élèves proche des néopositivistes viennois à partir de la fin des années 20, en est la preuve.

Dans ce mémoire je montre aussi le rôle néfaste et hélas durable de la destruction de l’image du grand léopolitain par la propagande stalinienne — qui a pourtant forgé le nom même de l’« École Lvov-Varsovie » — sur la réception du réalisme gnoséologique twardowskien après la guerre.

L’étude s’articule autour de ma traduction des deux archives de Twardowski.

À propos

« …on doit considérer cette exhumation de l’heuristique twardowskienne comme une contribution majeure aux études phénoménologiques et plus largement à l’histoire et à la philosophie de la logique du XXe siècle. » (C. Lobo, pré-rapport d’HDR)

« L’ensemble du dossier dessine donc le profil d’une chercheuse extrêmement dynamique, maîtrisant l’histoire de sa discipline mais également capable de se risquer à explorer de nouveaux domaines. » (P.L. Limido, pré-rapport d’HDR)

« Cette manière de défense, illustration et développement de la pensée de CT — analysée dans une dimension géopolitique — est remarquablement maîtrisée. (…) Mme Miskiewicz est, comme le montrent ces différents investissements de recherches, parfaitement intégrée à la communauté scientifique — française et internationale et jouit, aujourd’hui d’une reconnaissance à la hauteur de ses travaux » (G. Heinzmann, pré-rapport d’HDR)

W.M. – « un pilier solide des collaborations scientifiques entre la France et la Pologne » (2017, évaluation de la section 35 du CN du CNRS)

« W. Miskiewicz fait un travail scientifique et éditorial de la plus grande utilité, et, d’une manière générale, elle a très largement contribué à faire connaître la philosophie analytique et la phénoménologie descriptive polonaises en France. » (2011, B. Cassin, présidente de la Commission 35 du CNRS, 2011)

« chercheuse qui s’inscrit dans un travail résolument européen et tourné vers les nouvelles technologies de l’archivage » (2009, évaluation de la section 35 du CN du CNRS)

La soutenance aura lieu le mardi 9 janvier 2024, à partir de 9h00, à l’École Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris, Salle des Résistants (escalier A, 1er étage).

La soutenance est ouverte au public et elle sera accessible en visio (lien à venir) https://cnrs.zoom.us/j/99758853128?pwd=Y29NcENYczZZdXRtVnVWUmJtRWZDdz09

devant le jury ci-après :

• Madame Catherine Allamel-Raffin, Professeure, Université de Strasbourg
• Monsieur Andrzej Leder, Professeur, Académie Polonaise des Sciences, Varsovie
• Madame Patricia Luce Limido, Professeure, Université Paris Cité
• Madame Joanna Nowicki, Professeur, Cergy Paris Université
• Monsieur Dominique Pradelle, Professeur, Sorbonne Université
• Monsieur Denis Thouard, Directeur de recherche au CNRS, Paris / Berlin
• Monsieur Mark van Atten, Directeur de recherche au CNRS, Paris (garant)

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